Extrait de la Prophétie d'Oulibanki (Sheendara 2)
— Laissez-moi descendre de cet enfer flottant ! gronda Criip en se précipitant sur la passerelle qui venait tout juste de toucher terre.
— Pousse-toi, l’écailleux, couina Uruk en posant sa patte velue sur les naseaux fumants du petit dragon, je passe d’abord !
— Et pourquoi serais-tu le premier, vieille carpette velue ? grogna Criip en repoussant l’orque vers le milieu du pont.
— Laisse-le descendre, Criip ! intervint fermement Kelm, il est encore malade !
Le petit dragon se recula juste à temps pour voir courir à terre l’écritorien qui se tenait la bouche fermée avec l’une de ses pattes. Il se mit à vomir ses tripes dès qu’il fut sur la terre ferme.
— Sympa la traversée ! grinça Timmin en s’adressant à Criip. Entre tes jérémiades et les vomissements d’Uruk, la balade a été super agréable !
Piteux de s’être laissé aller à pleurnicher durant tout le voyage, le petit dragon s’empressa de rejoindre Uruk, suivi par les trois simpalidis qui lui murmuraient de gentilles paroles pour le réconforter.
— Même dans les Farwfz, ça ne puait pas autant, cracha Maître Kimmi qui nettoyait les vomissures qui souillaient le pont du bateau.
— C’était juste un peu plus boueux, plaisanta Kelnyann qui lui prêtait main forte après avoir réquisitionné le nain pour ce travail fort peu plaisant.
Pendant que certains lavaient le bateau, d’autres descendaient à terre tous les paquets, tonneaux et autres bagages utiles à l’expédition. Rouge-Fier leur avait même fourni un nouveau moyen de transport pour leurs marchandises. Seulement, il était en pièces détachées et il fallait que les compagnons l’assemblent afin de pouvoir s’en servir. Elwynn, Miakas et Kelm s’attelèrent à cette tâche, aidé par Mandion qui déchiffrait le schéma dessiné sur un parchemin qu’ils avaient trouvé, roulé et attaché avec les différents morceaux de bois.
— On va enfin pouvoir remettre tout ce barda dans une charruette, soupira l’elfe en disposant toutes les différentes pièces du puzzle selon les indications du druide.
— C’est une carriotte en langage reddin, souligna Mandion avant de montrer du doigt deux morceaux qui devaient s’emboîter l’un dans l’autre.
— Carriotte ou charruette, dit Miakas, ne chipotons pas avec les mots, ce n’est qu’un roule-charge !
— Une charruette possède deux roues, une carriotte en a quatre, expliqua doctement le druide au centaure comme s’il était un élève peu attentif. Chaque mot à sa signification. Une charruette n’est pas une carriotte et je suis sûr que ton roule-charge est encore différent, me trompé-je ?
— Non, ça n’a qu’une seule roue et nous le poussons à la force des bras, avoua Miakas.
— Il existe aussi des charruettes qu’on pousse à la force des bras, dit Oryann en déposant des paquets à terre. Kelnyann en avait une quand elle habitait le long de la forêt des Sapineux.
Tout en devisant sur les différents modèles de transport de marchandises, la carriotte fut assez facilement assemblée par les trois compagnons.
— Regardez ce que j’ai trouvé dans les bagages, s’exclama Timmin en montrant une chaise en bois.
— Pose là ici, dans la carriotte, lui répondit Mandion après avoir consulté son parchemin. Il faut la fixer afin qu’elle ne bouge pas.
— À quoi ça sert, demanda Mariska en se rapprochant.
— Encore un cadeau de Rouge-Fier, souligna Merlin en souriant.
— Un siège pour qu’Uruk n’ait pas à remonter sur un simpalada, expliqua Mandion.
— Il en a de la chance, dit une voix claire.
Sortant des eaux, Yavana s’avançait gracieusement vers eux. Elwynn rougit violemment quand il s’aperçut que la naïade ne portait aucun vêtement et que cela n’avait pas l’air de la déranger. Le prince Fäienis alla à sa rencontre à grands pas et la recouvrit d’une grande cape afin de cacher sa nudité.
— Je croyais que les elfes n’étaient pas pudiques, murmura Oryann. J’ai toujours entendu dire qu’ils évoluaient dans le plus simple appareil, que ce soit dans les forêts ou dans les eaux.
— Pas les Fäienis, répliqua doucement Merlin. Je les ai toujours vus vêtus. Je crains que les naïades n’aient pas la même conception de la pudeur. Ma fille a l’air de lui en faire voir de toutes les couleurs !
Le grand mage ne croyait pas si bien dire. Les amoureux se disputaient non loin d’eux et Yavana avait laissé tomber la cape à terre alors que l’elfe tentait de lui remettre de force sur les épaules.
Kelnyann intervint fermement dans leur conversation en invitant gentiment la jeune limnade à enfiler la tunique légère qu’elle lui apportait. Yavana obtempéra car si la voix de la Sorcière était douce, son regard était hypnotique. Et la naïade eut soudainement l’impression qu’il fallait qu’elle se vêtit rapidement.
Kelnyann venait juste de mettre en application l’un des enseignements reddins que lui avait appris Pensée-Pure.
Peu de temps après, le bateau s’éloigna sur le fleuve et la petite compagnie débuta son exploration de la steppe des Fous. C’était une immense étendue semi aride où seuls de grands arbres bleus poussaient. Enfin, seul leur feuillage était bleu car leur tronc était sombre, tordu et squelettique. De petits animaux sautillants au pelage épais, à la queue ronde et touffue,
aux longues oreilles tombantes et au museau poilu, gravitaient autour d’eux comme s’ils voulaient servir d’escorte à la caravane.
— Je me demande si ça se mange, dit un des soldats de Finus en les observant.
— Hamel est un gourmand ! se moqua son compagnon d’armes. Dès qu’il voit un animal, il l’imagine en brochettes !
Les sourcils froncés, Elwynn leur fit signe de se taire. Il n’était pas tranquille. Ses yeux ne voyaient rien mais son intuition aiguë l’avertissait d’un danger imminent. Il repensait à ces hommes à la peau noire et aux cheveux rouges qu’il avait été le seul à voir camper près des arbres bleus de la berge du fleuve Rouge. Mais ces arbres étaient à présent derrière eux et l’elfe n’y avait vu personne.
Un cri se fit entendre. C’était un signal de ralliement. De nombreux hommes apparurent juchés sur des montures semblables aux simpaladas si ce n’était la petite excroissance pointue qu’elles portaient sur leur front.
— Les hommes noirs aux cheveux rouges, murmura Elwynn.
— Les pillards de la steppe, renchérit Merlin. Un peu d’exercice, les enfants ?
— Ils sont nombreux, souligna Mandion.
— Mon épée commençait à rouiller, s’exclama Oryann, joyeuse. Enfin, de l’action !
— Un mot de toi, Kelm, et mon arc lâche son trait, dit aussi Mariska.
Kelm ne disait rien. Il observait. C’était les hommes noirs de la vision d’Elwynn. Le jeune homme dénombra plus d’une centaine d’assaillants et lorsqu’il se retourna, il vit qu’ils étaient encerclés.
Pour connaître la suite des aventures de Kelm et ses amis, ouvrez le tome 2 de Sheendara : la prophétie d'Oulibanki.